L’acceptation, une boussole stratégique 

L’acceptation. Un mot qui dérange parfois dans les sphères managériales, où l’on valorise l’action rapide, la réactivité, le contrôle.

Et pourtant, face aux imprévus, aux tensions humaines, aux zones d’incertitude que connaît tout manager, une posture d’acceptation change la donne. Pas l’acceptation comme repli ou renoncement, mais comme lucidité stratégique. Un autre rapport au réel, plus sobre, plus ajusté, plus durable.

Je vous propose ce pas de côté : questionner l’idée d’acceptation, non pas comme un abandon, mais comme un levier d’action pertinent. Un moyen de décider avec plus de justesse, de garder son cap sans s’épuiser, et de rester influent même dans un environnement fluctuant

Une confusion encore largement répandue

Dans les entreprises que j’accompagne, je croise souvent cette idée reçue : accepter serait capituler. « Si j’accepte, je perds la main », disent certains managers, persuadés que toute forme de lâcher-prise est un renoncement. En réalité, c’est l’inverse : accepter, c’est faire face sans faux-semblant, et poser les conditions de décisions plus justes et utiles.

Cela implique de voir les faits tels qu’ils sont, même s’ils bousculent les attentes.

Et pour y parvenir, le mental ne suffit pas. Le corps, lui aussi, entre en jeu. En situation de tension, il active des réponses automatiques : souffle court, muscles en alerte, attention focalisée. Tant que cet état perdure, notre discernement s’altère. L’acceptation commence alors par une interruption volontaire de ce cycle : détendre consciemment les épaules, expirer longuement, faire une pause avant de réagir. Ces gestes simples permettent de désamorcer la réaction défensive, d’ouvrir un espace intérieur de clarté et de reprendre la main sur ses décisions.

Je l’ai observé chez de nombreux dirigeants : au moment où ils cessent de vouloir contrôler l’incontrôlable, un espace se crée. Leur posture change, leur souffle s’apaise, et une autre qualité de discernement émerge. Moins réactifs, plus présents, ils peuvent décider sans précipitation, parfois même choisir de différer une action plutôt que de forcer une issue. Ce calme-là n’est pas un luxe : c’est une ressource décisive en situation complexe.

Refuser la réalité, un piège énergétique

Réunion stratégique, tension maîtrisée.

Accepter le réel, c’est suspendre le réflexe d’agir trop vite.

Je me souviens d’un cadre dirigeant que j’ai accompagné, épuisé après des mois passés à lutter contre une réorganisation qu’il n’avait pas véritablement choisie. Chaque jour, il dépensait une énergie folle à vouloir que les choses soient autrement : que son équipe réagisse mieux, que ses supérieurs changent de cap, que la pression retombe. Il en était arrivé à confondre résistance et leadership.

Cette posture, je la rencontre souvent : vouloir corriger la réalité à coups de volonté. Mais plus on force, plus la réalité résiste. Et plus on s’épuise.

Refuser ce qui est ne modifie pas la situation, mais cela réduit notre capacité à y répondre avec discernement. Cela crée des tensions, de la fatigue mentale, parfois une forme de lassitude profonde. Accepter, à l’inverse, ne veut pas dire approuver. Cela veut dire : « Je regarde les choses telles qu’elles sont, et je choisis de ne plus gaspiller mon énergie à m’y opposer. » C’est à partir de là qu’on peut retrouver de l’oxygène psychique, du recul, une capacité à faire autrement.

Accepter pour mieux décider

Accepter, ce n’est pas abdiquer. C’est faire un pas de côté pour mieux voir, mieux comprendre, mieux décider. Cela commence par un constat simple, mais exigeant : « Voici ce qui se passe. Je ne peux pas tout contrôler. Mais je peux choisir comment y répondre. »

Ce changement de perspective demande du courage. Car il faut parfois renoncer à ses illusions de maîtrise, à ses réflexes de toute-puissance. Mais en contrepartie, il ouvre un espace de liberté intérieure. Accepter les faits, c’est poser les fondations d’une action plus ajustée, plus ciblée, plus puissante.

J’ai vu des managers passer de la crispation à l’objectivité simplement parce qu’ils avaient osé reconnaître ce qu’ils ne voulaient pas voir. Loin de les affaiblir, cette lucidité les a renforcés. Ils ont retrouvé du discernement, de la fluidité dans leurs choix, de l’autorité dans leur posture. Et surtout, une forme de calme intérieur qui donne du poids à chaque décision annoncée.

L’autre, non plus, n’a pas besoin d’être corrigé

Dans le registre relationnel, l’acceptation joue un rôle clé, trop souvent négligé. Il ne s’agit pas de valider ou d’excuser tous les comportements, mais de reconnaître une évidence : l’autre n’est pas un prolongement de nous-mêmes. Il a son histoire, ses modes de fonctionnement, ses angles morts. Et vouloir à tout prix le changer, le « réparer », est souvent le plus sûr moyen d’installer résistance et défiance.

Quand un manager renonce à cette illusion de contrôle sur l’autre, il devient plus présent. Il écoute avec davantage de curiosité, ajuste son langage, prend en compte les signaux faibles. Il devient moins réactif, plus stratège.

Dans un contexte professionnel marqué par l’urgence, la pression des résultats et des agendas saturés, vouloir à tout prix corriger l'autre est une perte de temps et d'efficacité. Un manager efficient sait qu’il ne dispose ni du temps ni de la légitimité pour « reformater » ses collaborateurs. En revanche, il peut décider de travailler à partir de ce qu’il observe réellement : comportements, signaux, capacités, limites.

Des études comme celles de William Ury (Comment réussir une négociation) rappellent que c’est souvent en reconnaissant les intérêts et les contraintes de l’autre qu’on débloque des situations de négociation ou de collaboration. Prenons un exemple concret : lors d’une fusion entre deux entités, un manager constate que l’équipe intégrée traîne des pieds sur un nouveau process. Plutôt que de s’imposer frontalement, il prend le temps de comprendre les freins — charge mentale déjà élevée, sentiment d’injustice, peur de perdre du pouvoir. En mettant ces éléments sur la table et en les nommant sans jugement, il désamorce la tension. En retour, il obtient une participation plus volontaire à la co-construction d’une solution.

Autre exemple : un commercial performant mais peu coopératif en réunion d’équipe. Plutôt que de le recadrer systématiquement, le manager échange en tête-à-tête, reconnaît sa valeur, puis explicite pourquoi son comportement nuit à la dynamique collective. En acceptant la personne telle qu’elle est tout en fixant un cadre clair, il évite l’escalade et renforce la responsabilisation.

En bref, accepter l’autre ne signifie pas renoncer à l’exigence. C’est partir du réel pour construire de l’engagement durable, sans user inutilement de l’autorité formelle. Ce n’est pas une posture de complaisance, mais une stratégie d’impact.

Le manager qui cesse de juger pour mieux observer gagne en finesse de lecture et en puissance d’influence.

Une compétence à développer

Comme toute posture mentale, l’acceptation s’apprend et se travaille au quotidien. Pas besoin de grandes théories pour cela, mais d’exercices concrets, intégrables dans le rythme d’un manager pressé. Voici quelques exemples:

  • Lors d’un point d’équipe tendu, prendre 30 secondes pour observer les faits sans commenter ni interpréter. Juste décrire mentalement : « X a haussé le ton, Y regarde par terre, je sens mes épaules se crisper. »

  • Avant une réunion stratégique, faire la liste de ce qui dépend vraiment de soi (préparation, écoute, cadrage) et de ce qui ne dépend pas (réaction des autres, décision finale de la direction).

  • En pleine journée chargée, utiliser la transition entre deux réunions pour respirer profondément 3 fois, en portant attention au relâchement des mâchoires et du ventre. Ce geste simple réinitialise le système nerveux et renforce la disponibilité mentale.

Ces micro-pratiques, inspirées de l’entraînement mental des sportifs sont des leviers puissants de stabilité et de discernement en contexte d’incertitude.

Une boussole opérationnelle pour les décideurs sous pression

Alors que les agendas changent plus vite que les plans stratégiques, vouloir tout contrôler est non seulement illusoire, mais épuisant. L’acceptation, loin d’être une posture théorique ou molle, devient une ressource stratégique. Elle permet d’orienter rapidement son attention, de faire des choix lucides, et de canaliser son énergie là où elle est vraiment utile.

Le rôle du manager n’est pas de tout anticiper ni de tout maîtriser, mais de rester capable d’ajustement face à l’imprévisible. Cela implique parfois de renoncer à certaines batailles pour mieux tenir la ligne de fond : celle des priorités, de la mission, et des liens humains qui soutiennent l’action.

Accepter, dans ce cadre, ce n’est pas baisser la garde. C’est faire preuve de discernement. C’est refuser de s’agiter pour mieux tenir. Une posture ferme et souple à la fois, qui permet de garder l’initiative même quand tout bouge. Une boussole, en somme, dans les turbulences du quotidien.

Philippe Leclair

Cet article vous a plu ? Partagez-le avec vos proches … N’hésitez pas à me faire part en commentaires de vos expériences et réflexions ... Parce que c'est de la diversité des idées et des points de vue que naissent les meilleures dynamiques collectives!

Suivant
Suivant

Attentes déçues, agacement assuré ? Un piège courant du management