Performants mais épuisés : le paradoxe de la réussite

Il était l’un des cadres les plus performants de son entreprise. Reconnu, respecté, admiré pour ses résultats et sa capacité à mobiliser ses équipes. Mais, au fil des années, les restructurations, les réorganisations et les fusions ont profondément changé la culture de son entreprise.
Les valeurs auxquelles il croyait, engagement, respect, sens du collectif , se sont effritées derrière la logique du court terme et la tyrannie du chiffre.

Jusqu’au jour où tout s’est effondré. Un burn out sévère, brutal. Non pas parce qu’il avait cessé d’être performant, mais parce qu’il ne se reconnaissait plus dans ce qu’il faisait. Le sens avait disparu. Et avec lui, le plaisir.

Son histoire illustre un paradoxe devenu fréquent : atteindre tous les indicateurs de réussite, mais se sentir vidé, désaligné, déconnecté de soi. Un paradoxe d’autant plus aigu dans un contexte économique tendu, où la pression du résultat se fait chaque jour plus forte.

Quand l’obligation de performance déconnecte du sens

La recherche de performance, nécessaire dans toute organisation, devient problématique lorsqu’elle se coupe du sens. Sous la pression du résultat immédiat, l’action se déplace de l’intérieur vers l’extérieur : on agit pour répondre aux attentes, atteindre des objectifs, cocher des cases.

Peu à peu, ce qui motivait le matin finit par peser le soir.

Le mental sature de “il faut”, “je dois”, “on attend de moi”. Le corps encaisse la tension. La fatigue devient chronique, la motivation s’érode, la disponibilité relationnelle diminue. La performance reste là, parfois même au plus haut, mais elle devient mécanique, vide de plaisir et de sens.

C’est souvent à ce moment-là que la fragilité s’installe : lorsque la réussite n’alimente plus que l’usure et qu’on se déconnecte de soi.

Retrouver du plaisir dans un contexte incertain

Le contexte économique actuel rend cette situation encore plus sensible. Les entreprises évoluent dans un climat d’instabilité : marges réduites, tensions sociales, injonctions paradoxales entre performance immédiate et transformation durable. Dans ce climat, parler de plaisir au travail peut sembler presque déplacé.
Pourtant, le plaisir n’est pas un luxe pour les périodes calmes : c’est un facteur de stabilité intérieure quand tout bouge à l’extérieur.
Il régule le stress, soutient la lucidité et favorise une énergie durable. C’est lui qui permet aux dirigeants, managers et équipes de garder la tête froide et de continuer à agir avec justesse.

Retrouver du plaisir dans un contexte difficile ne signifie pas “se détendre en oubliant la réalité économique”, mais réhabiliter la qualité de l’expérience de travail comme levier de performance durable.
Cela peut passer par :

  • Redonner du sens localement, dans son équipe, son périmètre, ses projets: Clarifier la mission, reconnaître les efforts, célébrer les réussites, même modestes.

  • Réinstaurer la confiance, même partielle. La peur fragilise la coopération ; la confiance restaure l’énergie collective.

  • Alléger la pression invisible. Tout ne peut pas être urgent ni prioritaire. Hiérarchiser, c’est préserver la lucidité.

  • Valoriser la qualité de présence. Un manager calme, cohérent et présent crée un climat sécurisant, même en période de tension.

  • Cultiver les micro-plaisirs professionnels. Le plaisir ne se décrète pas, il s’observe : un échange sincère, une mission fluide, une idée bien reçue, un travail bien fait. Ces moments sont les respirations de la performance durable.

Le plaisir devient alors un acte de management stratégique, un choix de santé et d’efficacité.

Le plaisir, un indicateur biologique d’équilibre

Le plaisir n’est pas une faiblesse émotionnelle, mais une donnée neurophysiologique essentielle à la performance. Lorsqu’une activité procure une satisfaction authentique (une réunion constructive, une décision claire, une coopération fluide) le cerveau libère de la dopamine et de la sérotonine. Ces neurotransmetteurs soutiennent la motivation, la concentration et la créativité.

À l’inverse, lorsque le travail est vécu sous tension, contrainte ou incohérence de valeurs, le système de récompense se dérègle. Le corps associe alors le travail au stress. La fatigue s’installe, la pensée se rigidifie, la motivation devient mécanique.

Le plaisir est donc un baromètre de justesse : il signale l’alignement entre nos valeurs, nos actions et notre environnement.
Quand il disparaît, il faut écouter ce message avant qu’il ne se transforme en épuisement.

Le corps, révélateur silencieux et amplificateur

Bien avant que le burn out n’arrive, le corps parle. Fatigue persistante, respiration courte, tensions musculaires, irritabilité, perte d’envie.
Autant de signes que l’énergie se dérègle, que la tension prend le dessus sur la fluidité.

Le corps sait avant la tête :

quand il retrouve sens, maîtrise et plaisir, la performance s’installe

Le dirigeant dont nous parlions n’a pas entendu ces signaux. Son exigence et son sens du devoir avaient pris le pas sur l’écoute de soi.
Il tenait, coûte que coûte. Jusqu’au jour où le corps a imposé la pause.

Derrière ce que l’on appelle souvent “épuisement professionnel” il y a souvent autre chose qu’une fatigue : une usure du sens, quand le fil entre ce qu’on fait et ce qu’on croit juste se distend, voire se coupe.

Retrouver le sens, c’est retrouver l’énergie

La performance durable ne se construit pas contre soi, mais avec soi. Elle s’appuie sur trois piliers : le sens, la maîtrise et le plaisir.
Quand un professionnel agit en cohérence avec ses valeurs, il retrouve une énergie stable, une attention claire, une motivation qui ne dépend plus du stress mais de l’envie.

La motivation intrinsèque, fondée sur le plaisir, la curiosité et la fierté du travail bien fait, renforce la résilience.
La motivation sous contrainte, alimentée par la peur ou la compétition, finit toujours par épuiser.

Le plaisir devient ainsi le témoin d’une performance vivante : celle qui s’ancre dans le corps, la clarté et le sens, non dans la tension ou la peur.

Le plaisir, levier de performance durable

Le plaisir n’est pas l’opposé de la rigueur. C’est ce qui la rend tenable, efficace et humaine. Un professionnel détendu, lucide et présent agit mieux, décide mieux, coopère mieux. Son énergie est communicative : elle alimente la confiance, la créativité et la cohésion.

Les dirigeants qui cultivent le plaisir d’agir, pour eux-mêmes et leurs équipes, développent une performance plus constante, plus cohérente et plus durable.
Ce plaisir d’agir se ressent dans les postures, les échanges, la qualité du climat.

Être performant, ce n’est pas seulement atteindre des objectifs : c’est le faire sans se perdre, sans s’éloigner de soi ni des autres.

Le plaisir n’est pas une parenthèse dans la performance : c’est une boussole intérieure qui indique la bonne direction, le bon rythme, la juste intensité.
C’est lui qui transforme la pression en engagement, et la réussite en épanouissement. Il est le cœur vivant d’une performance durable

Philippe Leclair

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