Attentes déçues, agacement assuré ? Un piège courant du management
« Dès lors où les autres ne sont pas au rendez-vous de mes attentes, je m’agace. »
C'est une phrase que j'entends souvent dans mon métier de coach et de formateur. Elle claque comme une évidence. Elle exprime une vérité quotidienne pour beaucoup de managers. Mais elle dit aussi quelque chose de profond sur la manière dont nous construisons nos relations aux autres, selon une logique implicite : si mes attentes sont légitimes, les autres doivent y répondre. Et s’ils ne le font pas, la frustration surgit, vite suivie de l’agacement, voire du conflit. Or, c’est souvent moins une question de mauvaise volonté de la part des autres que de clarté, de communication, et de gestion de soi.
Alors, que sont ces fameuses attentes ? D’où viennent-elles ? Et comment sortir de cette impasse fréquente dans les équipes et les collectifs ?
Bref décryptage psychologique : d'où viennent nos attentes ?
Les attentes sont des représentations intérieures de ce que nous pensons que les autres devraient faire, être ou dire. Elles ne sont pas nées par hasard : elles s’ancrent dans notre passé, notre éducation, nos valeurs et nos croyances.
Selon Marshall Rosenberg, le fondateur de la Communication Non Violente (CNV), une attente non exprimée est une exigence potentielle. Tant qu’elle reste implicite, elle alimente le malentendu. Et quand elle est déçue, elle devient le carburant de l’irritation.
Nos attentes peuvent provenir :
de nos valeurs personnelles : « La ponctualité, c’est le respect. »
de nos habitudes culturelles ou professionnelles : « Dans mon ancien job, on répondait aux mails en moins de deux heures. »
de nos peurs : « Si on ne me consulte pas, c’est que je ne compte pas. »
ou de nos besoins non assumés : reconnaissance, sécurité, validation...
Nos attentes prennent racine dans ce qui nous construit.
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Daniel Kahneman, prix Nobel d'économie et spécialiste du fonctionnement cognitif humain, rappelle que notre cerveau est programmé pour créer des réalités internes stables. Une attente, c’est une forme de prévision qui nous rassure, mais qui peut nous piéger.
Conséquences managériales : quand l’attente devient un levier de tension
Dans une équipe, une attente non clarifiée agit comme une bombe à retardement. Je l’ai vu maintes fois : un manager croit être clair, les collaborateurs pensent bien faire, et pourtant... le malentendu s’installe.
Un exemple fréquent : un manager attend que ses collaborateurs prennent des initiatives. Mais il ne l’a jamais exprimé clairement. Quand il s’aperçoit qu’ils attendent des consignes, il s’impatiente. Pour eux, il devient imprévisible, voire injuste. Pour lui, ils manquent d’autonomie. Chacun campe sur son interprétation.
Les répercussions sont multiples :
Confusion : les rôles et les attentes ne sont pas alignés.
Tension : l’agacement non verbal ou exprimé du manager pollue le climat.
Démotivation : l’énergie de l’équipe baisse.
Contagion émotionnelle : Les émotions sont contagieuses. En entreprise, le comportement émotionnel d’un manager influe directement sur l’atmosphère de l’équipe. Un leader tendu transmet malgré lui son stress, tandis qu’un manager calme contribue à un climat plus serein et propice à la coopération.
Il s'agit donc d’apprendre à faire de ses attentes un outil de pilotage et de relation, plutôt qu’un vecteur de crispation.
Pistes concrètes pour transformer ses attentes en leviers de leadership
Identifier ses attentes (et leurs racines)
Il s’agit d’un travail d’introspection régulier. Une bonne question à se poser en amont d’une interaction : qu’est-ce que j’attends exactement de cette personne ou de cette situation ? Et cette attente est-elle fondée sur un besoin légitime ou sur une peur, une habitude ou un conditionnement ?
On peut utiliser une grille simple :
Est-ce une attente consciente ou inconsciente ?
Est-elle exprimée ou implicite ?
Est-elle négociable ou rigide ?
Est-elle pertinente dans ce contexte ?
Cet examen de conscience permet souvent de désamorcer un agacement avant même qu’il ne monte.
Clarifier et valider les attentes, c’est déjà éviter la moitié des malentendus.
Exprimer plutôt qu’imposer
L’expression claire de ses attentes est un acte de responsabilité managériale. Il ne s’agit pas de déverser ses exigences, mais de formuler ce que l’on souhaite avec précision et ouverture.
Par exemple : « J’attends que tu sois plus proactif » est trop vague. En revanche : « J’aimerais que tu me proposes chaque semaine une idée d’amélioration sur notre process » est une demande concrète, observable, et dont on peut discuter.
Cela demande du courage relationnel, mais prévient bien des déceptions.
Négocier des accords
Clarifier une attente ne suffit pas : encore faut-il qu’elle soit acceptée. La négociation d’accords crée un cadre commun, sécurisant pour chacun.
Prenons un exemple : un manager attend que les comptes rendus soient transmis sous 48h. Il peut présenter cette attente, puis demander : « Est-ce que ce délai te semble raisonnable ? Que faudrait-il pour que ce soit tenable ? »
En faisant émerger les contraintes de chacun, on co-construit un accord qui a plus de chances d’être respecté.
Gérer l’écart sans s’agacer
Une attente même bien exprimée peut ne pas être tenue. Là encore, tout se joue dans la posture. Il s’agit de passer d’une logique d’accusation (« Tu n’as pas respecté ce qu’on avait dit ») à une logique d’investigation : « Il était convenu que le rapport serait prêt aujourd’hui. Qu’est-ce qui a empêché cela ? »
Ce changement de ton permet d’instaurer un climat de confiance, de responsabilité partagée, et de progression.
Travailler sur soi : autorégulation émotionnelle
Le manager est aussi un humain, traversé d’émotions. Cultiver sa stabilité intérieure est indispensable. Cela passe par :
l’identification précoce des signaux d’agacement,
des techniques de régulation (respiration, recentrage corporel, reformulation mentale),
un travail de fond sur ses schémas récurrents (avec l’aide d’un coach ou d’un superviseur).
Comme le rappelle Daniel Goleman, l’intelligence émotionnelle n’est pas un luxe, c’est une compétence clé du leadership.
Les attentes tissent en silence nos relations professionnelles. Elles traduisent nos espoirs, nos besoins, parfois nos certitudes. Mais lorsqu’elles restent floues, figées ou imposées sans dialogue, elles deviennent des murs plus que des ponts.
Le manager d’aujourd’hui n’est plus seulement garant des résultats. Il est aussi gardien de la qualité des liens. Cela implique de regarder ses attentes en face, de les nommer avec discernement, et de tenir compte de la réalité concrète de l’autre, avec ses contraintes, ses perceptions, sa marge de manœuvre. C’est ce réalisme lucide qui permet de manager avec exigence sans tomber dans l’agacement chronique.
Philippe Leclair
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