Manager, parent, conjoint… et jamais content.e ?

Le perfectionnisme bénéficie d’une image flatteuse : il évoque la rigueur, le souci du détail, la fiabilité. Dans le monde professionnel comme dans la vie personnelle, il est même souvent valorisé comme un gage de sérieux. Mais ce trait apparemment vertueux peut devenir un piège.

“Le perfectionniste, c’est celui qui zoome sur un pixel flou et oublie l’image entière.”

Ce biais d’attention — souvent inconscient — pousse à traquer l’imperfection. À ne voir que ce qui cloche. Et à vivre dans un état de tension chronique. Derrière cette posture se cache rarement un simple désir de bien faire, mais plus souvent une stratégie de défense : éviter la critique, masquer la peur de l’erreur, ou tenter de se prouver qu’on mérite sa place.

C’est ainsi que naît le syndrome du “jamais content.e” : cette posture où rien n’est jamais tout à fait à la hauteur, ni chez soi, ni chez les autres. Une dynamique d’insatisfaction qui épuise autant qu’elle contamine.

On reconnaît ce syndrome à ces petites phrases du quotidien, à peine prononcées qu’elles piquent :

  • Ce réflexe de corriger plutôt que de valider.

  • Cette difficulté à reconnaître un effort sans l’accompagner d’une réserve.

  • Cette tendance à voir ce qui manque, avant de voir ce qui est.

Qu’il s’agisse de travail ou de vie personnelle, cette mécanique crée une tension constante — souvent invisible mais bien réelle — chez celles et ceux qui la subissent, comme chez ceux qui la portent.

Dans ces réactions, ce n’est pas l’exigence qui parle, mais l’angoisse : celle de l’imperfection, du jugement, du laisser-aller. Et c’est elle qui, insidieusement, fatigue tout le monde — à commencer par la personne concernée.

Quand l'exigence managériale bloque l'initiative

Dans un monde professionnel déjà soumis à une forte pression, le manager "jamais content" agit comme un amplificateur de tension. Sous prétexte d’exigence, il multiplie les critiques, réduit les signes de reconnaissance à peau de chagrin et transforme chaque succès en prétexte à en demander plus.

Derrière chaque perfectionniste inflexible, c’est une équipe qui marche sur des œufs.

Symptômes fréquents :

Sous couvert de rigueur, le manager perfectionniste installe une culture de l'insatisfaction. Les compliments sont rares, les critiques nombreuses, parfois sur des points de détail sans impact réel. Le moindre livrable est scruté, corrigé, peaufiné, jusqu’à en perdre sa fonction initiale.

  • Les retours sont majoritairement critiques, même en cas de bons résultats.

  • Les documents déjà validés sont systématiquement relus, modifiés à la marge.

  • L’attention se focalise sur le détail au détriment du message ou de la stratégie.

Conséquences :

Ce management du doute permanent produit l’effet inverse de celui recherché : il freine l’élan, étouffe les initiatives, installe une peur de mal faire. Les collaborateurs, pris dans un climat de correction continue, finissent par se décourager.

  • Baisse de la motivation et du sentiment de reconnaissance.

  • Ralentissement des projets à cause de validations interminables.

  • Perte d’autonomie et d’initiative, car "ça ne sera jamais assez bien de toute façon".

Selon le State of the Global Workplace Report de Gallup (2022- gallup.com) les salariés encadrés par un management hypercritique ont deux fois plus de risques de se déclarer stressés ou démotivés.

Derrière chaque perfectionniste inflexible, c’est une équipe qui marche sur des œufs.

Quand la critique intérieure prend le pouvoir

Le perfectionniste n’est pas seulement exigeant envers les autres : il est aussi son propre bourreau. Dans son for intérieur, une voix critique l’accompagne en permanence, comme un coach invisible – mais rarement bienveillant. Même après une journée globalement réussie, il s’attarde sur la petite erreur, la formulation hésitante, l’imperfection marginale. Un détail cloche ? Et c’est toute la machine mentale qui s’emballe : "Tu aurais dû... Tu n’es pas à la hauteur... C’est insuffisant."

Souvent, ce perfectionnisme intérieur s’ancre très tôt. Chez certains, tout commence dans l’enfance, lorsque la reconnaissance parentale dépend des résultats : "Tu as eu 16 ? Pourquoi pas 18 ?" Le message implicite est clair : on vaut ce qu’on accomplit. Ajoutez à cela une scolarité ou une carrière dans des environnements normatifs et compétitifs, et vous obtenez une personne qui cherche sans relâche à mériter sa place.

À cette dynamique s’ajoute un besoin de contrôle profond. Car contrôler, c’est se protéger de l’imprévu, donc de l’insécurité. L’erreur n’est pas perçue comme une étape normale d’apprentissage, mais comme une menace identitaire.

Conséquences :

Perfectionnisme : la balle toujours hors de portée... à cause des autres.

Le mental tourne sans pause. Le soir, les pensées repassent les scènes du jour en boucle, pointent les maladresses, imaginent des scénarios alternatifs. La fatigue s’installe, insidieuse. Le plaisir de réussir, lui, s’estompe. Chaque victoire est immédiatement déclassée par une nouvelle exigence. Et l’attention, comme un radar déréglé, se braque systématiquement sur ce qui cloche, oubliant tout le reste.

Selon la chercheuse Brené Brown, "le perfectionnisme n’est pas un moteur de réussite, mais une armure contre la vulnérabilité". Autrement dit, on tente de se protéger du rejet en éliminant toute faille visible… quitte à s’y enfermer soi-même.

Quand l'insatisfaction empoisonne la relation

Le perfectionnisme ne reste pas confiné au bureau ni limité au monde intérieur de celui qui le porte : il infiltre les sphères privées.

Dans le couple, l’amitié ou la famille, il se manifeste par une tendance persistante à pointer ce qui cloche, plutôt que ce qui fonctionne. Une escapade surprise pour un week-end en amoureux ? Dommage, l'hôtel n'avait pas de vue sur mer comme sur les photos. Cadeau d'anniversaire soigneusement choisi ? "Tu sais que je préfère les bouquins en format poche…"

Conséquences sur les relations :

Le perfectionniste: toujours un point à critiquer, un reproche à formuler

Le perfectionniste relationnel n’élève pas simplement la barre : il la rend invisible. Ses exigences ne sont pas toujours formulées clairement, mais se glissent dans des remarques anodines en apparence, qui sapent lentement l’estime de l’autre :

  • "C’est bien… mais tu aurais pu y penser plus tôt."

  • "Merci, même si j’aurais fait autrement."

  • "Tu fais toujours de ton mieux, c’est déjà pas mal."

À force d’accumulation, ces commentaires à double sens deviennent des indices permanents que l’autre n’est jamais pleinement à la hauteur. Il ou elle développe alors un sentiment d’insuffisance, d’anticipation anxieuse, voire de retrait émotionnel : "À quoi bon, je vais encore être critiqué.e."

  • Impression persistante de ne jamais faire assez bien.

  • Moins d’élans spontanés, moins de propositions ou d’attentions : on évite de faire, pour éviter de mal faire — ou d’être critiqué à demi-mot.

  • Distance émotionnelle, perte de spontanéité, dégradation de la confiance mutuelle.

Selon les travaux en psychologie systémique, l’insatisfaction chronique agit comme une forme subtile de dévalorisation. Elle engendre frustration, distance, voire conflits latents. Ce n’est pas la dispute qui tue la relation, mais l’impression persistante que rien n’est jamais suffisant.

Viser la justesse, pas la perfection

Le perfectionnisme, sous ses airs d’exigence noble, est souvent le masque d’une insatisfaction tenace. Il fatigue les équipes, use les relations, et épuise celui ou celle qui le porte.

En sortir, ce n’est pas viser plus bas, c’est viser plus juste. C’est savoir reconnaître quand c’est suffisant, et avoir le courage de s’arrêter avant que l’exigence ne vire à l’épuisement.

Dans la vie personnelle, cela veut dire calmer cette voix intérieure qui ne laisse jamais de répit. Au travail, encourager sans contrôler. Et dans nos relations, voir ce qui est là, plutôt que ce qui manque.

Choisir la justesse et non la perfection, c’est peut-être cela, la vraie maîtrise : lucide, imparfaite, mais en mouvement.

Et si ce qu’on qualifie de “pas mal” était justement ce qu’il fallait ?

Philippe Leclair

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