Faillite : ce que j’ai appris quand tout s’est écroulé
En 2024, la France a enregistré plus de 67 800 défaillances d’entreprises, un niveau jamais atteint depuis la crise de 2009. Conséquence inévitable, un taux de chômage en hausse. Ces chiffres, au-delà de leur dimension statistique, racontent des réalités humaines souvent violentes : perte de repères, isolement, pression financière, désillusions.
Je ne parle pas ici en observateur distant. J’ai vécu cela de l’intérieur, il y a près de quarante ans. Une faillite professionnelle et personnelle, brutale. Et pourtant, ce que je croyais être un échec s’est transformé, au fil du temps, en point d’appui fondateur. Car ce n’est pas tant l’événement lui-même qui détermine notre avenir, que la façon dont nous choisissons de réagir.
C’est cette expérience que je veux partager : comment, face à l’effondrement (faillite, perte d'emploi), on peut entraîner son mental et son émotionnel, se désengluer des pensées limitantes, rester ouvert aux opportunités - même discrètes - aux rencontres. Et construire, malgré tout, un nouveau départ.
Le choc : une faillite comme point de bascule
Ruine financière et choc émotionnel
En 1985, après une carrière de sportif de haut niveau, un titre de champion du monde, et le départ du Bataillon de Joinville, je décide de me lancer dans l’entrepreneuriat. Deux projets menés de front: créer une salle de sport et m’installer comme consultant sophrologue et préparateur mental. Avec des amis devenus associés, nous construisons plus de 1 000 m² de bâtiment, lançons une salle de sport avec une offre ambitieuse mêlant musculation, danse, sophrologie, yoga, etc...
Mais nous ne sommes pas gestionnaires. Après quatre années d’efforts, la faillite est inévitable. Mes associés prennent rapidement leurs distances. Je me retrouve seul à gérer la suite, en tant que gérant et caution personnelle. Huissiers, dettes, interdiction bancaire, isolement… Je touche le fond. Le plus difficile ? Ce n’est pas la ruine financière. C’est le choc émotionnel, le risque de perte de confiance en l'avenir, en soi, la peur du regard des autres… et le mien.
Le pivot intérieur : comment j’ai changé ma perception
Il a fallu me battre, non contre les autres, mais contre mes propres pensées. Il m’a aussi fallu accepter l’abandon de mes associés, leur fuite face à la difficulté, sans me laisser envahir par le ressentiment. Ce sentiment d’injustice, je devais l’accueillir, le digérer, pour ne pas qu’il alimente mes propres blocages. Cette faillite est devenue un véritable terrain d’entraînement intérieur, une sorte de compétition mentale sans adversaire extérieur. Il s’agissait de garder un minimum d'équilibre malgré l’effondrement apparent. Rester centré alors que tout vacille. Ne pas se projeter dans un avenir noir alors que les huissiers frappent à la porte. Vivre l’instant présent, sans céder à la panique. Trouver les moyens, les solutions – surtout financiers – de tenir, de survivre de rebondir. Maintenir un sommeil réparateur malgré l’anxiété. Apaiser la petite voix intérieure qui souffle le doute, la peur, la culpabilité.
Entre l'impulsion et l'action, un espace.
Là où commence le pouvoir du choix de réponse.
Je découvre, dans ma chair, ce que signifie réguler ses émotions, agir malgré la peur, savoir repérer et transformer ses pensées automatiques limitantes. Je m’approprie alors les enseignements d’Épictète, de Viktor Frankl et d’Albert Ellis, que je connaissais intellectuellement, mais que je commence à comprendre viscéralement, par nécessité, pour ma survie.
Frankl, survivant des camps, écrivait : « Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace. Dans cet espace se trouve notre pouvoir de choisir notre réponse. »
D'une chute à un cap : les fruits inattendus d’une faillite
Ce naufrage apparent a fait naître un cap nouveau. Des rencontres précieuses m’ont tendu la main, parfois inattendues, souvent salvatrices aux heures les plus sombres. Le concept pédagogique "Stratégie de la réussite" a émergé de cette période de rupture et de reconstruction. Il s’est forgé au cœur même des difficultés traversées, comme une réponse concrète à la nécessité de rebondir. Bien avant d’être une entreprise, c’est une méthode de transformation personnelle et professionnelle conçue pour celles et ceux confrontés à des contextes exigeants ou à des défis majeurs, qu’ils soient professionnels, personnels ou sportifs. Ma propre chute, aussi brutale qu’instructive, est devenue le socle d’une pédagogie du "comment" : comment se relever concrètement, comment tenir au cœur de la tourmente, comment apprendre à se transformer, à partir du réel, comment rester engagé, actif face à l’adversité, malgré des chances apparentes faibles ou nulles. J’ai été mon propre cobaye, confronté à mes limites, contraint à imaginer des solutions. Ce vécu intense m’a permis de bâtir une méthode profondément enracinée dans le quotidien. Elle conjugue théorie et terrain, savoirs et épreuves, réflexions et actes concrets. Une méthode éprouvée depuis auprès de sportifs de haut niveau, de cadres dirigeants, d’équipes sous pression, parce qu’elle ne promet pas l’idéal, mais accompagne le possible.
Quelques décennies ont passé, et ce recul me permet aujourd’hui de mesurer avec justesse à quel point cette expérience a nourri un parcours à la fois cohérent, engagé et profondément porteur de sens. Les témoignages et retours de mes clients, au fil des années, me donnent chaque jour la preuve concrète que cette méthode née de l’épreuve trouve une résonance dans leurs propres trajectoires.
Ce que cette expérience peut offrir à toute personne confrontée à l’incertitude
Nombre de personnes sont en train de traverser ce type d’épreuve aujourd’hui, chacun à sa manière. Ce qui importe, ce n’est pas tant de les éviter — la réalité économique reste un invariant difficile à contrôler — mais d’agir sur ce qui est à 100 % sous notre contrôle : notre attitude mentale, notre gestion émotionnelle. C’est là que réside notre levier pour transformer l’épreuve en force intérieure et en véritable pouvoir d’action.
Accepter ce qu’on ne contrôle pas. Habiter sa conscience.
Et redevenir acteur de sa vie.
Tout commence par l’auto-observation : repérer nos pensées automatiques, nommer nos émotions, sentir les tensions corporelles. À partir de là s’ouvre l’espace du choix. Cette posture de méta-vigilance, proche de la position du témoin, repose sur trois piliers : une attention focalisée dans l’instant présent, une observation lucide de soi, et l’absence de jugement ou d’interprétation.
Quand nous développons cette conscience de soi, plusieurs bénéfices apparaissent : nous comprenons mieux ce qui se passe en nous comme autour de nous ; notre sens de l’observation s’aiguise ; nos réactions cessent d’être mécaniques pour devenir ajustées et choisies ; nous gérons mieux la pression et les facteurs de stress ne nous épuisent plus de la même manière ; et nous prenons conscience de l’influence de notre attitude mentale sur nos interlocuteurs. Nous reprenons les rennes de notre pouvoir d'action.
L'acceptation des invariants de la réalité, et le développement de la conscience de soi, ne sont pas des luxes réservés à quelques-uns. Elles sont des appuis nécessaires pour reprendre en main sa trajectoire. Car au bout du tunnel, il y a une sortie. Et il s’agit d’y arriver lucide et prêt à agir.
Philippe Leclair
Cet article vous a plu ? Partagez-le avec vos proches … N’hésitez pas à me faire part en commentaires de vos expériences et réflexions ... Parce que c'est de la diversité des idées et des points de vue que naissent les meilleures dynamiques collectives!
Et si manager, c’était aussi s’entraîner ?
Le management, un sport de haut niveau -Préparation mentale et corporelle pour la santé et la performace des dirigeants (Editions Margada) vous livre des outils concrets pour mieux décider, mieux résister, mieux durer. Disponible FNAC