Savoir échouer : regards croisés sport et management
On entend souvent dire qu’il n’y a pas d’échec, seulement des apprentissages. Pourtant, lorsque l’on s’est investi intensément dans un objectif majeur — personnel, sportif ou professionnel — l’échec, s’il survient, provoque un choc émotionnel bien réel. Frustration, doute, sentiment d’injustice peuvent submerger même les plus aguerris. C’est dans cette tension que se joue la différence entre stagnation et progression.
Je l’ai expérimenté dans mon parcours de sportif de haut niveau au bataillon de Joinville. Certaines compétitions arrivaient après des semaines de préparation rigoureuse, où tout semblait réuni pour performer. Et pourtant, le jour J, le corps ne répondait pas, ou des éléments venaient bouleverser la donne. C’est un moment difficile, car le contraste entre l’investissement consenti et le résultat obtenu est parfois brutal. Mais dans le sport de haut niveau, surtout lorsqu’on veut rester dans le circuit international, il n’est pas question de s’attarder sur l’amertume. La saison continue. On doit digérer rapidement, analyser, ajuster sa stratégie, corriger. Faire de l’échec un levier et non un fardeau. Ces expériences, bien qu’inconfortables, m’ont appris davantage que mes victoires sans encombre : elles m’ont obligé à élargir mon regard, à me remettre en question et à renforcer ma capacité d’adaptation.
Ce que j’ai appris sur la piste, je le retrouve dans les trajectoires de nombreux dirigeants et managers. Car en entreprise aussi, les rendez-vous clés se préparent avec soin. Et pourtant, il arrive que tout ne se passe pas comme prévu. Là encore, la tentation du repli, de la frustration ou de la colère peut l’emporter.
La manière dont ces moments sont abordés fait toute la différence.
L’échec n’arrête pas la marche. Il l’oriente….
à condition d’oser!
Ce que le sport m’a appris — et que je transmets aujourd’hui aux managers et dirigeants que j’accompagne — c’est que l’échec n’est pas une fin, mais un processus de progression à part entière. Il peut devenir un point d’appui, une source de progression, un moteur de stabilité intérieure et de confiance durable. À condition de savoir le regarder en face, de l’accepter, de s’en relever, et d’en faire une boucle d’entraînement et d’apprentissage permanent.
Cette vision n’est pas propre au monde du sport. De nombreux chefs d’entreprise y souscrivent. Elon Musk, par exemple, considère chaque échec de lancement spatial comme un pas de plus vers une solution plus fiable : chaque incident est analysé, documenté et intégré dans le processus d’amélioration continue. De son côté, Xavier Niel, fondateur de Free, a aussi bâti son succès sur sa capacité à apprendre vite de ses erreurs. Lors du lancement de Free Mobile, les débuts ont été marqués par des bugs techniques et une forte pression concurrentielle. Plutôt que de reculer, il a misé sur l’ajustement rapide et la transparence, transformant ce démarrage difficile en tremplin vers une offre devenue incontournable.
Cette manière de concevoir l’échec comme un élément structurel du processus de progression se retrouve chez plusieurs dirigeants que j’accompagne : qu’il s’agisse d’un produit mal accueilli, d’une stratégie mal synchronisée ou d’un changement d’organisation mal vécu, ceux qui progressent sont ceux qui savent convertir ces revers en sources de clarification et d’évolution. Cette capacité à rebondir rapidement et intelligemment est aujourd’hui une constante chez les leaders résilients.
L’échec n’est pas une fin, c’est un point d’appui
Sur la piste, chaque défaite m’a obligé à me repositionner, à revoir ma stratégie d’entraînement, à affiner mes routines mentales. En entreprise, trop souvent, l’échec est vécu comme un arrêt brutal ou une mise en cause personnelle. Le réflexe sportif consiste au contraire à analyser sans jugement, pour transformer l’échec en levier d’adaptation. Un DRH que j’ai accompagné a vécu une refonte managériale difficilement acceptée sur le terrain. En comprenant que ce rejet initial révélait un déficit de dialogue avec les managers de proximité, il a pu transformer cette tension en opportunité de renforcement du leadership intermédiaire.
Accepter l’échec, c’est déjà le dépasser
Refuser l’échec, c’est l’entretenir. J’ai appris à ne pas fuir les résultats décevants. Les regarder en face, c’est reprendre le pouvoir. Pour un manager, cela signifie apprendre à dire « nous n'avons pas atteint notre objectif» sans désigner immédiatement un coupable, mais en cherchant à comprendre. Cette posture favorise la confiance et ouvre un espace d’apprentissage collectif. Lors d’un atelier de retour d’expérience que j’ai animé après un projet informatique mal déployé — une application lancée sans coordination entre les équipes —, l’acceptation partagée des erreurs a permis de reconstruire une dynamique d’équipe et de repartir sur des bases plus saines.
L’échec forge l’endurance mentale
Dans le sport de haut niveau, on se relève vite, car la saison continue. Pas le temps de s’apitoyer : il faut rebondir. Cette dynamique m’a appris que la vraie force, ce n’est pas de ne jamais échouer, mais de continuer malgré tout. Pour un dirigeant, un manager, cette endurance émotionnelle permet de rester stable face à l’incertitude, et de rassurer ses équipes par sa solidité intérieure. Une directrice générale, confrontée à une baisse soudaine de résultats, a su incarner cette stabilité en maintenant une vision claire, tout en soutenant ses équipes dans l'effort d’adaptation.
Faire face à l’imprévu, une condition de la réussite
En course à pied, les épreuves sont maintenues quelles que soient les conditions, sauf en cas de danger avéré. Il faut donc s’y préparer en amont, mentalement et physiquement. Mon mental était prêt à absorber ces imprévus sans perdre de vue l’objectif. En management, la résilience se construit en amont. Elle repose sur la préparation mentale, la clarté des objectifs et des étapes intermédiaires, ainsi que sur la cohésion de l’équipe. Elle inclut aussi la capacité à accueillir l’imprévu comme une composante normale de l’action. Une entreprise que j’ai accompagnée dans une transformation digitale avait anticipé dès le départ des imprévus opérationnels, en intégrant plusieurs scénarios alternatifs. Cette préparation lui a permis de réagir rapidement aux obstacles rencontrés et de faire monter en compétence ses équipes de manière progressive et constructive.
Avant de tirer des enseignements utiles d’un échec, il faut reconnaître qu’il touche d’abord à l’intime. L’échec n’est pas un adversaire, mais une expérience profondément personnelle. Peu importe le contexte ou l’environnement, qu’il soit stable ou incertain, il se vit d’abord de l’intérieur. Il ébranle l’engagement, l’ego, les attentes forgées par l’effort fourni. Ce ressenti est universel et mérite d’être pleinement reconnu.
L’échec, c’est un diplôme supérieur que vous vous offrez !
Mais ce qui fait la différence, c’est la capacité à dépasser la charge émotionnelle de l’échec pour y puiser des enseignements utiles. Observer, comprendre, ajuster : ces réflexes ne vont pas toujours de soi, mais ils s’apprennent. L’expérience, aussi déstabilisante soit-elle, peut devenir un levier de progrès si elle est relue avec lucidité et sans complaisance.
Que l’on soit sportif de haut niveau ou manager, cette aptitude à transformer ses échecs en tremplin plutôt qu’en frein constitue une marque de maturité. Dans les organisations, elle nourrit une culture de l’apprentissage continu, encourage la prise de risque raisonnée et renforce la capacité collective à évoluer. L’échec, reconnu et analysé, devient ainsi un facteur de développement durable, au service d’un leadership plus robuste, plus agile et plus humain.
L’échec, c’est l’université de ceux qui tentent. C’est un diplôme supérieur que vous vous offrez !
Philippe Leclair
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